Je suis là, assise au bar, livrée à moi-même. Les gens autour de moi ont tous l'air de se dire la même chose : qu'est-ce que j'fous ici? On a d'l'air d'une bande de cons. Des maudits cons qui boivent pour oublier. Des maudits cons qui s'engourdissent la cervelle le temps d'une soirée pour finalement se réveiller le lendemain avec une face de truite, du vomi partout dans les cheveux et un mal de crâne qui décalisse une journée.

Ce soir, j'avais besoin de m'aérer le cerveau. Sortir de mon cocon blanc pour renouveler l'air qui se promène dans toutes les cellules de mon corps.

Ce soir, je suis un vieux piano désaccordé, laissé là, abandonné.

Ce soir, je laisse couler l'encre de tes yeux dans mon enveloppe vide. Je pleure à notre histoire d'amour. Celle qui désormais, n'existe plus. Celle qui ne reviendra jamais. Celle qui a filé entre mes doigts.

Je pleure à toi. À moi. À nous.

Tu disais qu'il me manquait quelques touches, quelques notes afin de pouvoir être fonctionnelle.

Tu disais que c'était trop difficile de remettre à neuf un vieux piano comme moi.

Un piano qui ô combien a eu ses heures de gloire. Un piano qui autrefois, a su te jouer de magnifiques mélodies.

Ton parfum de beau gars me manque.

Ton rire de pense bon me manque.

Ça me fait chier.

À cause de toi, je suis là, seule, laissée à cette bonne vieille nostalgie. Je n'ai aucune rancune, seulement de l'amertume en passant à nos jours heureux.

Tes doigts me manquent. Peut-être que si j'avais réparé mes lacunes, tu serais resté. Tu aurais pu continuer à composer de beaux morceaux avec moi. Sur moi.

Le barman me sert un autre Negroni. Plus fort que les deux derniers.

« Cadeau » qu'il me dit.

J'ai la tête qui tourne. Ça me fait du bien.

Je le remercie. Il me fait un clin d'œil et me pointe du doigt, un gars assis de l'autre côté du bar.

La lumière tamisée m'empêche de voir son visage.

Il se lève et se dirige vers moi.

Ai-je l'air aussi pitoyable pour qu'un gars puisse penser me ramener ce soir?

Allo, ça va?

Salut, ouais ça va et toi?

Ouais! J'me demandais si j'pouvais m'asseoir à côté d'toi?

Écoute, j'ai pas l'goût d'jaser ou d'baiser ce soir! C'est ben smath de m'avoir payé un verre, mais j'ai rien demandé!

Crisse prends pas ça d'même, reste toute seule d'abord maudite conne!

Je le regarde sortir du bar et j'en profite pour lui faire un doigt d'honneur d'au moins 35 secondes.

Immature, je sais.

Hey barman, fais-nous donc des shooters de Jamieson que j'vomisse ma pitoyable vie.

Yes, j'te fais ça tout d'suite!

Un, deux, trois, quatre, cinq, six…

Mon estomac pis mon foie me crient d'arrêter. Ma tête pis mon cœur veulent continuer.

J'ai envie de l'appeler. J'ai besoin de savoir comment il va.

Je veux lui dire une dernière fois qu'il me manque. Que nos matins ensemble me manquent. Que nos baises pis nos fous rires me manquent. Trop.

Maudite fille soûle. Maudit gars quand je suis soûle. Maudit amour tout court.

Ma tête me commande de l'appeler pis de pleurer pour mieux le manipuler.

Mon cœur me dit maudite fille soûle, t'es conne de l'aimer, arrêtes de boire pis vas te coucher.

Je fais un compromis entre ma tête pis mon cœur. Je prends mon cellulaire et je le texte. Juste pour lui dire qu'il me manque. Pis je vais juste ajouter une petite émoticône triste. Juste pour qu'il comprenne que je suis vraiment malheureuse sans lui. Juste pour qu'il ait encore plus le goût de me répondre. Juste au cas où.

Salut beau garçon, tu me manques :(

Ça doit faire au moins cent ans qu'on ne s'est pas parlé. J'espère qu'il va avoir assez de compassion pour ne pas m'ignorer.

Ça me ferait tellement mal s'il m'ignorait. Ça me décalisserait encore plus.

Je prends une dernière gorgée de mon drink devenu beaucoup trop dilué à cause de la glace et je quitte le bar.

J'ai l'impression que l'air est chaud pour un 15 janvier.

La rue est déserte. Seuls les lampadaires lui donnent un peu de vie.

Je me sens lourde comme une roche. Une méchante grosse roche.

J'ai le cœur qui devient fou en attendant que tu me répondes.

Réponds-moi s'il te plaît!

Je ne pourrai pas supporter si tu me rejettes encore une fois.

Seulement pour cette nuit, dis-moi que tu vas bien et que tu t'ennuies aussi.

Dis-moi que ta vie est merdique depuis que je n'y suis plus.

Dis-moi que les autres filles sont moins belles, moins fortes, moins gentilles.

Moins moi.

Dis-moi que tu regrettes.

Dis-moi que tu as envie de réparer un vieux piano désaccordé.

– Gabrielle