« Veux-tu sortir avec moi? »
Je m'ennuie du temps où on était tous un peu, pas mal, beaucoup, timides, mais qu'on était assez game de demander à l'élu(e) de notre cœur : « veux-tu sortir avec moi? »
C'était simple.
On se contentait d'inscrire les cases oui, non ou peut-être sur un bout de papier, sur le coin d'un bureau, sur un papier-mouchoir, sur le tableau de la classe ou sur un sac à dos Lavoie, parce que oui, on avait tous des sacs à dos de cette marque-là pis maudit que c'était cool.
Il y avait un genre de suspense.
Quand le mot n'était pas signé ou que l'écriture n'était pas assez visible, parce qu'on s'entend que des « pattes de mouche » ce n'est pas toujours évident à lire.
Il y avait des règles non écrites.
Par exemple, la case « peut-être » était optionnelle. Elle était là, parce qu'un peut-être faisait beaucoup moins mal qu'un non définitif. Du même coup, cette option pouvait être pratique si jamais on ne savait pas quoi répondre.
Il y avait des « catégories » de courage :
1) Les anonymes. Ils voulaient sortir avec toi, mais leur manque de confiance en eux les empêchait de s'affirmer complètement. Ils osaient t'écrire une demande, mais ils se résiliaient à signer leur nom. C'était comme des fantômes. À l'occasion, c'était tes amis qui te faisaient une petite blague juste pour s'amuser.
2) Les intimidés. Ils s'affirmaient plus que les anonymes, puisqu'ils prenaient le temps de signer leur nom. Mais jamais au grand jamais, ils n'auraient osé donner leur morceau de papier directement à la personne aimée.
3) Les guerriers. Ils étaient assez courageux pour te donner leur bout de papier en main propre. Tels des combattants, ils affrontaient la peur d'être rejetés par le sexe opposé. Bien souvent, leurs p'tites mains tremblaient en donnant leur papier, mais c'était simplement parce que toute la classe regardait la scène avec attention.
Et finalement...
4) Les champions. La médaille allait aux p'tits bums. C'était les plus courageux, parce qu'ils risquaient leur vie en faisant circuler leur p'tit morceau de papier d'un bout à l'autre de la classe tout en essayant de ne pas se faire chopper par le professeur. Quoi de plus gênant que de se faire prendre et que ton mot soit lu à voix haute par la grosse Gisèle, et ce, devant ton prospect.
Il y avait du temps à la réflexion.
Excepté, si c'était le bel Éric. T'sais, le p'tit gars avec la coupe champignon, dont toutes les filles, était éperdument en amour? Là, tu devais te dépêcher à faire ton choix, parce que sinon, c'était une autre qui allait prendre ta place dans les prochaines 24 heures. Par contre, si c'était le gros Cédric, celui avec la queue de rat tressée pis la chemise en rayonne avec des dragons, no problemo, tu pouvais le faire attendre des heures, voire des jours.
Il y avait parfois des risques de déceptions amoureuses.
Si justement t'espérais que le destinataire soit le beau gars et non le p'tit bizarre qui s'assoyait à l'avant avec ses gros fonds de bouteille, à se fouiller le nez avec le bout de son crayon de plomb et à manger ce qui traînait sur la gomme à effacer, mettons.
Mais…au moins, on avait l'heure juste avec cette approche.
On n'était pas dans le néant à se demander : « est-ce qu'il est amoureux de moi ou on est juste des amis? »
Alors, l'espace d'un instant…
Pouvons-nous être à nouveau ces enfants timides, mais à la fois courageux?
Pouvons-nous ne rien rendre compliqué et simplement demander sur un p'tit bout de papier : « veux-tu sortir avec moi? »
– Gabrielle