Coeur de bohème.
Je regarde le compteur de vitesse encore une fois. Plus que 57 km avant de les retrouver.
J'inhale une grande bouffée d'air frais. L'air est bon. L'air est doux.
Mes boucles volent au vent et viennent chatouiller mon visage, et ma nuque. Je me laisse emporter par leur douceur. Ça me rappelle quand grand-maman flattait mon dos avec ses longs doigts de pianiste. Ça me calmait.
Sur la R-175 N, tout est calme, tout est paisible.
Je monte le volume de la radio. Céline se fait aller les cordes vocales avec intensité. Habituellement, j'aime Céline, mais aujourd'hui, place à la musique de roadtrip. J'appuie sur La Bohème. À mon tour de crier à pleins poumons.
Je m'imaginerais bien chanteuse. Être sur scène à hurler des chansons qui font pleurer. Je ne sais pas, c'est peut-être mon côté mélodramatique mélangé à ma sensibilité qui me donne cette impression-là.
Je prends une grande gorgée de mon café noir. Pas question d'être fatiguée, je veux profiter de la présence de mes parents pis du soleil pis du lac pis de toutes nos histoires au bord du feu, sous les étoiles. Ha !
Voyager seule entre Québec et Saguenay, ça me permet de me sentir légère. De sentir que je peux tout accomplir ! Que je peux être qui je veux ! Que je suis invincible ! Charles Aznavour a le don de me faire sentir nostalgique. Brillante. Rêveuse. Bohème.
J'avale une bouchée de mon bagel. La dernière. Je la savoure. Toute façon, même si j’ai encore faim, je sais très bien que mom m’attend avec ses fameux muffins aux bananes avec pépites de chocolat. Juste en y pensant, je salive comme un gros Saint-Bernard.
Je tape sur Woman. Frissons. Les poils qui se dressent sur mes bras me transportent ailleurs. However distant don't keep us appart after all it's written in the stars… J'augmente le volume et John Lennon chante pour moi. Je suis femme. Libre. Bohème jusqu'au bout des doigts.
La carrosserie de ma vieille Berthe vibre sous les effets sonores de la sonnerie de téléphone. La voix de John fait maintenant place à celle d'Alex, mon copain plus trop copain.
Oui, allo ?
T'es où ?
J't'en voiture, j'm'en vais chez mes parents !
Euh, tu m'niaises là ?
Alex, j'ai juste besoin d'aller respirer !
Ouvrir les fenêtres d'ton appart ou aller marcher dans l'parc à côté d'chez vous c'était pas assez pour respirer ?
Laisse faire, tu comprends pas !
J'peux pas croire que t'es parti sans m'le di...
Oups, mauvais signal. Faut croire.
Malheureusement, il ne comprendra jamais que je suis une bohème au cœur volage, une amoureuse de l'amour, une femme à l'imagination libertine.
Il ne comprendra jamais que l'on n'apprivoise pas les chats sauvages comme le dit si bien Marjo.
Tant pis pour lui. Tant pis pour moi. J'aime mieux vivre seule et libre que de vivre à deux et emprisonnée.
La route est déserte. Aucun nuage à l'horizon qui pourrait venir chasser mon bonheur.
John continue de chanter pour moi. Mes doigts tapent sur le volant au rythme de sa voix. Je pourrais l'écouter en boucle, lui et ses tonnes de chansons. Aimer. Ça doit sûrement être ça.
Je me penche vers la boîte à gants et en ressors mes lunettes rondes. Je monte le volume encore plus haut, John, mon amour, me voilà !
– Gabrielle