BOY, t'as rien compris.
Les quelques cheveux qui se perdent sur mon front volent sous cette légère brise d'automne. Les feuilles des arbres sont comme des caméléons; elles se camouflent pour dissimuler leur chagrin de voir le beau temps disparaître drastiquement.
Ma chaise en forme d'avocat que j'avais acheté au rabais l'année dernière accueille mes fesses congelées.
Les dernières journées ensoleillées sur mon balcon sont précieuses puisque les flocons blancs viendront tout ensevelir dans quelques semaines.
Ce que j'aime en ce mois d'octobre, c'est de pouvoir ressortir mes gros pulls douillets à souhait et de boire des boissons chaudes dont les noms finissent par la lettre « é ».
C'est beau l'automne. C'est coloré. Ça sent bon. Ça sent le froid. Ça peut sembler bizarre, mais je crois que si le froid avait une senteur, ce serait l'odeur de l'automne.
Ce qui est bien aussi, c'est que dans mon appartement, ce n'est plus le Sahara. Terminé les ruisseaux entre les seins et sous les seins. L'été a tellement été chaud que chaque pas dans l'appart était un véritable combat. La chaleur m'étouffait tellement que parfois, je me mettais la tête dans le congélateur.
À défaut de ne pas avoir de piscine (c'est ça vivre en ville et non, je n'allais sûrement pas me baigner dans l'urine des enfants du quartier), j'enfilais un maillot de bain et m'empressais de faire le béluga dans ma baignoire. L'eau glaciale me donnait l'impression d'être dans le fleuve Saint-Laurent. Je faisais bouger mes pieds comme font les enfants dans une pataugeoire un samedi après-midi. Je pouvais passer des heures à faire la grosse épave et bien souvent, j'en ressortais les doigts aussi ratatinés que ceux d'une personne âgée. Je laissais Sam Smith me bercer par ses magnifiques chansons d'amour. Ben tristes. Tellement tristes que je m'asséchais le corps à mesure que la playlist jouait. Je l'aime tellement. Sam. Smith. Mais…il est gai, alors je ne pourrai jamais devenir sa femme.
Peut-être dans une autre vie. Qui sait?
Cet été, j'avais rencontré un Sam. Un Sam comme mon Sam Smith. Pas gai, évidemment, mais un gentil Sam. Il était venu me rejoindre dans ma piscine improvisée. On était bien. Un peu collé. Un peu, beaucoup, je devrais dire, mais on a quand même pu faire l'amour dans l'eau ou sous l'eau tellement le niveau avait monté à cause de nos deux corps d'athlète. On a glissé tout le long comme de gros idiots. On a ri aux éclats comme des enfants de dix ans. J'étais par-dessus lui, naturellement, et mes cheveux étaient devenus frisés à cause de toute l'humidité qu'on avait créée autour de nous.
Après cette nuit-là, je l'ai attendu toutes les autres nuits sur mon balcon. Il n'est jamais revenu. Il ne m'a jamais donné de nouvelles. Il n'a juste rien dit. Il a quitté ma vie sans même me demander si je voulais quitter la sienne. Il n'a jamais pris le temps de me redonner un bout de mon cœur. Il l'a gardé pour lui, probablement enfouie dans la poubelle de sa chambre, là où se trouvent les restes de nos ébats amoureux.
Son silence m'a fait l'effet d'un coup de poignard dans le dos. Je pensais que les gars plus vieux savaient ce qu'ils voulaient. Que les histoires de gamins s'étaient terminées. Ça m'apprendra à être naïve. Pis trop smatte.
« Ah les maudits gars » comme dirait ma mère.
J'ai toujours le cœur qui palpite intensément quand on me déçoit. Ça crée un méchant calvaire dans mon être. Ça vire tout à l'envers. Ça détruit presque tout comme si l'ouragan « connard » était passé dans mon corps.
De douces attaches pour un rien. Un maudit rien.
Après avoir pleuré comme une conne pendant deux interminables semaines, j'ai fini par jeter le chandail que je lui avais volé. Ça faisait trop de jours qu'il me servait de taie d'oreiller. Trop de jours où je foutais mon nez dedans afin d' y respirer son odeur de gars qui fait chier. Jeter son chandail laid, c'était la première étape à la libération de ma peine de fille qui s'est fait avoir par un gros con. J'ai mis de côté mes chums Ed Sheeran et Calum Scott, et j'ai écouté à nouveau les grandes féministes qui me font du bien.
Thisss girlll isss on fireeeeeee
Thisss girlll isss on fireeeeeee
She's walking on fireeeeeeee
Thisss girlll isss on fireeeeeee
Alicia Keys a le don de nous libérer de certaines émotions. Crier à pleins poumons les paroles de ses chansons, ça décape les murs, ça tue les mouches pis ça met les voisins en colère, mais c'est tellement libérateur.
La flamme qui brûle à l'intérieur de moi est déchaînée. C'est comme si on l'avait aspergée d'essence. Elle ne pourra jamais s'éteindre. Quelques fois, elle sera moins intense, moins lumineuse, mais jamais elle ne cessera d'exister.
Les ouragans peuvent créer le chaos autour d'eux; tout virer à l'envers en un claquement de doigts.
Ce que ces ouragans ne savent pas, c'est qu'ils ne pourront jamais atteindre notre force intérieure qui est beaucoup plus puissante qu'un simple coup de vent.
– Gabrielle